A la veille de la Révolution Française en 1789, il y a environ 500 juifs à Paris. Ils sont tolérés puisque l’édit d’expulsion de Charles VI de 1394 n’a jamais été rapporté. En fait, cette petite communauté est formée de trois groupes : les plus nombreux viennent d’Alsace (rattachée à la France depuis 1648 par le traité de Westphalie) ou de Lorraine. On les appelle à tort juifs allemands. Ils sont ashkénazes. Il y a ensuite celui des Séphardim ou Sépharades de Bordeaux et de Bayonne, d’origine hispano-portugaise. On les appelle souvent juifs portugais. Et enfin le dernier groupe, celui des Avignonnais natifs du Comtat Venaissin, anciens protégés des états du Pape. Ils se rattachent aux Séphardim.
Les juifs portugais vivaient sur la rive gauche dans le quartier St André des Arts. Ils prétendaient avoir reçu en 1550 une autorisation d’habiter Paris. Ce droit leur fut reconnu par des lettres patentes en 1776. Tous ces juifs accueillent avec enthousiasme les idées de la Révolution Française. Plus d’un quart d’entre eux n’hésitent pas à s’enrôler dans la Garde Nationale.
Les Juifs du Sud-Ouest qui formaient la «Nation Portugaise» avaient déjà participé aux élections en février 1789. Sous l’impulsion de leur délégué à Paris, David Sylveira, le 28 janvier 1790 l’Assemblée Nationale décide l’émancipation des juifs portugais, espagnols et avignonnais qui jouiront dorénavant des droits des citoyens actifs, c’est à dire qu’ils sont électeurs et éligibles. Plus d’un an après, le 28 septembre 1791 les Juifs d’Alsace Lorraine obtiendront l’extension de la loi et les mêmes droits et obligations. C’est un événement considérable pour les juifs de France et du reste du monde…
La Communauté juive portugaise
Dès sa formation au XVème siècle à Paris, cette communauté se préoccupe d’acheter ou de louer un cimetière et d’installer un oratoire, son lieu de culte. Avec l’implantation du Consistoire de Paris la communauté portugaise se range sous la bannière de ce dernier mais en essayant de maintenir toujours sa spécificité. En 1826, elle abandonne l’oratoire modeste de la rive gauche situé rue du cimetière St André des Arts pour un local cédé par le Consistoire et situé derrière le Temple de la Rue Notre Dame de Nazareth. Il devient très vite trop petit.
Comme le Temple Nazareth doit faire l’objet d’une démolition afin d’être reconstruit, un oratoire provisoire est installé 39 rue du Sentier. On commence alors à bâtir un Temple rue Lamartine. Il sera inauguré en 1851 et comprend 300 places. Cependant le coût élevé de la construction met en péril les finances de la Communauté qui cherche à nouveau à se rattacher au Consistoire. Ces problèmes surgissent avec la question de la fusion des rites qui est très présente au XIXème siècle. Il s’agit de remplacer les deux rites allemands et portugais par un rite français « Tsorfat ». On envisage même de le mettre en vigueur dès l’inauguration du Temple de la rue la Victoire dont la construction commence à cette époque Une commission mixte travaille à ce projet à partir 1865.
En 1874, l’assemblée des fidèles d’origine portugaise refuse l’adoption de ce rite commun. Le Consistoire décide alors de conserver le rite allemand pour le Temple de la rue la Victoire. La Communauté portugaise piquée dans son honneur choisit elle aussi de construire un grand Temple sépharade dans le même quartier et dans le même style architectural.
En 1875, un petit groupe de fidèles originaires de Bayonne et de Bordeaux, de l’Empire Ottoman et du Comtat Venaissin, créent une société civile par action qui a pour mission d’acheter un terrain et d’y faire bâtir un Temple. Les dons sont importants mais ne suffisent pas. C’est alors qu’un mécène se propose. II s’agit de Daniel Ifla Osiris.
Le 17 Mars 1808 Napoléon établit le règlement organique du culte et le 11 décembre 1808 il décide l’organisation des Consistoires. Chaque département ou groupe de départements comprenant 2000 juifs au moins formera un consistoire composé de deux à trois rabbins et d’autant de notables. Il y a, à cette date 2 733 juifs à Paris…
Daniel Osiris
Osiris est un vrai personnage de roman dont la biographie mérite d’être connue. Fils d’Isaac Ifla (1799-1869) et de Léa Cardoso d’Urbino (1797-1878), des commerçants modestes de la communauté juive portugaise de Bordeaux. Il a 4 sœurs : Sarah, Rachel, Esther et Aimée, et un frère, Charles. Daniel Ifla (1825-1907), jeune homme, se lance à la conquête de Paris et suit les cours de l’école Turgot. Très vite il entre comme commis chez un agent de change puis à la banque Mires où peu à peu il gravit les échelons et finira fondé de pouvoirs. Cette banque a été créée par les frères Pereire pour leurs affaires.On disait généralement « M. Mires est à M. Pereire ce que M. Pereire est à M. de Rothschild ».
C’est là que le jeune Daniel s’initie au mécanisme de la Bourse et tente ses premières opérations pas toujours avec succès.
D’ailleurs, la banque Mires liée à celle d’un autre juif bordelais Moïse Millaud, sombre dans une faillite à scandales en 1860. C’est le moment où Daniel Ifla obtient de changer son nom et devient Osiris. Il fait courir le bruit qu’il a choisi ce nom pour accomplir une ancienne promesse de sa mère. Mais il semble bien que notre héros ait, en fait, profité de certaines amitiés ministérielles. Il se déclare déjà dans le décret
« rentier, … ». Osiris est un dieu égyptien, frère et époux d’Usis, tué par son frère : il ressuscite grâce à Isis qui reconstitue les différentes parties de son corps. C’est un symbole des francs-maçons de l’époque. Daniel Osiris constitue son énorme fortune grâce à son goût pour la Bourse et les nouvelles industries comme le téléphone ou les vaccins de l’Institut Pasteur. En 1877, il est à la tête de 8 millions de francs, en 1907 de 50 millions de francs.
En 1855, il épouse Léonie Carlier, la fille d’un entrepreneur de peinture qui habite rue la Bruyère. Il fera très bien fructifier la dot de 50 000 F de sa femme et viendra en aide à sa belle famille quand les affaires péricliteront. Un drame va bouleverser son existence : Léonie, sa jeune femme meurt en couches en 1856 malgré la présence et les soins du médecin de l’Impératrice Eugénie. Veuf et riche, son hôtel particulier de la rue de la Bruyère verra passer le Paris des Arts et des lettres. Il apparaît alors comme un mécène de son pays : il rachète et restaure la Malmaison qu’il offre, puis une partie du champ de bataille de Waterloo qu’il offre aussi. A l’occasion des expositions universelles, il offre encore à Edouard Branly et à Madame Curie un prix scientifique de 100 000 F à chacun mais il est aussi 1er mécène et protecteur de la communauté portugaise de Paris puisqu’il finance en très grande partie la construction du Temple de la rue Buffault.
Il fera également construire des Temples à Arcachon, pour le mariage de l’une de ses nièces, à Vincennes (1907), à Tours (1908) et à Bruyères dans les Vosges. Signalons aussi pour la petite histoire que l’une de ses petites nièces, Emma, épousera Claude Debussy et l’autre, Charlotte, sera la première femme de Sacha Guitry. A sa mort, Daniel Osiris sans descendance directe, lègue son immense fortune à l’Institut Pasteur et se fait enterrer dans un tombeau majestueux surmonté d’une copie du Moïse de Michel Ange au cimetière de Montmartre. Le Temple de la rue Buffault est inauguré le 3 septembre 1877 et depuis il n’a jamais cessé d’être utilisé par les juifs sépharades selon le rite portugais. A cette époque, il y a en France 80 000 juifs (sans compter ceux d’Alsace et d’Algérie). Ce chiffre est à comparer avec l’Allemagne (160 000) , l’Angleterre (180 000) et les Pays Bas (100 000).
L’architecture des temples
Sous l’Ancien Régime c’est avant tout un espace caché et toléré.
A partir de la Révolution Française, les juifs témoignent par leurs Temples de leur émancipation. Ils adoptent même les valeurs esthétiques de leur temps.
Au XIXème siècle, le Temple est devenu le symbole de l’intégration et de l’installation définitive en France avec le renoncement ancestral du retour à Sion.
Entre 1791 et 1914, la communauté juive de France, regroupant environ 80 000 personnes, construit 214 temples. Ce qui nous permet d’avoir, de nos jours, un patrimoine architectural important et varié…
On pourrait donc distinguer trois périodes dans l’architecture des Temples comme le fait Dominique Jarassé :
– au XVIIIème siècle : la beauté cachée, par exemple Carpentras et Cavaillon
– au XIXème siècle : la monumentalité, par exemple, à Paris la rue Buffault et la rue de la Victoire, et à Bordeaux
– au XXème siècle : le retour à la simplicité et au sentiment de précarité due à l’affaire Dreyfus et au drame de la Shoah, par exemple le Temple Art Déco de la rue Pavée (1937) ou celle de Boulogne Billancourt (1931)
Description du Temple Buffault
Nous l’empruntons à la revue l’Univers Israélite qui en rend compte dans sa livraison de juin 1877.
La partie supérieure de la façade est formée par deux grands arcs concentriques, supportant un fronton couronné par les Tables de la Loi. La hauteur totale de la façade du sol au faîte des Tables de la loi est de 22,50m.
Une inscription en hébreu cite le texte biblique : « Sois béni en en arrivant, soit béni en sortant » (Deut, XXVIII,6).
Le monument de la rue Buffault est un chef d’oeuvre d’architecture, l’architecte M. Stanislas Ferrand a bien mérité d’Israël.
La façade est très belle, le premier porche élégant. Avant de pénétrer dans le temple proprement dit, on traverse un second porche auquel donnent accès six portes cintrées se faisant face.
L’intérieur de l’édifice comprenant 650 places est à la fois riche et sévère. La nef est large cependant la courbe n’est pas assez accentuée ; c’est une des causes de l’insuffisance de l’acoustique. Les bas côtés comprennent six arcades soutenues par des colonnes en marbre blanc. Au dessus, se trouvent les galeries réservées aux dames.
Le Tabernacle a de grandes proportions. Une petite grille en fer forgé le sépare du public. Deux superbes rideaux en velours rouge qui forment portière lorsqu’on les ouvre cachent à nos yeux le lieu saint. Le Thamid finement ciselé fait honneur à sa donatrice Mme Veuve David Léon. En face du tabernacle et superposée au second porche se trouve une tribune dont la partie du fond est réservée à l’organiste et à la maîtrise et la partie du devant au public.
Les lustres et les candélabres sont très beaux. Nous avons surtout remarqué le chandelier à 8 branches.
Une balustrade en pierre entoure la Théba. Au plafond, 4 rosaces occupent les quatre parties centrales de la nef.
Le Tabernacle entouré de marbre est surmonté d’une cinquième rosace qui mérite d’être décrite : la pierre taillée à jour figure des nuages et des rayons ; derrière, des verres où on a habilement combiné diverses nuances jaunes ; enfin, au centre, les tables de la Loi telles que la tradition veut que les ait portées Moïse descendant du Sinaï. Cette rosace représente les rayons du soleil émergeant des Tables de la Loi et perçant les nuages.
A noter que le Temple est orienté vers Jérusalem comme le veut la tradition.
On remarquera les plaques voulues par Daniel Osiris et qui firent l’objet d’un conflit avec le Consistoire.
Fuente: Temple Buffault © Copyright 2018